Tant qu’il y aura des pompons. Pour certains, la vie, c’est comme une boite de chocolat ; pour d’autres, elle se résume impitoyablement à des berlingots de lait concentré* chargés d’adoucir une enfance solitaire ou à des bouffées d’angoisse sous l’ombre menaçante des tours jumelles du World Trade Center.
Mais peu importe finalement, pour Adam Elliot, ce que l’existence vous réserve.
Son dernier né, Mary & Max, sous ses lugubres oripeaux, est avant tout un formidable hymne à l’amitié inconditionnelle et à l’inaltérable droit à la différence (qu’elle soit physique ou mentale).
Mary a 8 ans et n’a pas un physique facile. Sa mère, abonnée à la clope sans filtre, tangue au gré des verres de Sherry et son père se préoccupe plus des volatiles qu’il empaille que de sa petite famille logée dans une triste banlieue paumée de Melbourne. Mary s’ennuie (l’éternel drame des enfants surdoués) et a des préoccupations bien trop éloignées de celles des enfants de son âge. Et sa petite volaille domestique lui apporte incontestablement un peu de tendresse mais ne peut lui apprendre grand-chose sur les mystères de la vie.
Max est juif (et souffrant du syndrome d’Asperger, il ne connaît de la psychiatrie que l’hôpital où on l’enferme illico en cas de stress aigu), obèse, et vit solitaire dans un minuscule appartement new yorkais, entouré d’une multitude d’animaux aussi cabossés que lui, sans oublier une galerie de poissons rouges identiques tous prénommés Henry, qui se succèdent dans le minuscule aquarium à une cadence que, même durant ses plus sanglantes heures, la royauté anglaise n’a jamais connue. Bien qu’ayant allègrement dépassé la quarantaine, il continue de communiquer avec un fort inquiétant ami imaginaire. L’unique compagnie humaine qu’il parvient à tolérer est celle d’une voisine asexuée d’un âge vénérable et quasiment aveugle (l’un des Henry en fera d’ailleurs les frais dans un des meilleurs gags du film, et ils sont légion).
Par un heureux hasard, et bénie soit la kleptomanie maternelle, Mary écrit un jour à Max qui, passé les premières crises d’angoisse que lui valent des questionnements improbables sur ses goûts culinaires ou des actions enchaînant des termes tels que « bébé », « sexe » et « préservatif », va finalement trouver une séduisante raison de vivre: une véritable amie.
Se sentant totalement étrangers au monde qui les entoure, ces deux-là vont se reconnaître dans leurs différences. Cette relation épistolaire et les cadeaux qui l’accompagnent (barres chocolatées, sucreries en tous genres) vont faire de ces deux boulimiques le couple le plus mal assorti certes, mais aussi singulièrement le plus émouvant du moment.
Cette histoire d’amitié entre une enfant trop intelligente et un adulte inadapté aurait pu se révéler franchement glauque en prises de vue réelles (Il suffit de se souvenir du malaise distillé par Tideland de Terry Gilliam_2006), mais apparaît ici poétique, cruelle, étrange et hilarante à la fois car Mary et Max sont avant tout deux petites créatures faites de pâte à modeler. Jamais matière ne fut plus sombre, ni plus déprimante et touchante en un même plan (une seconde vision est conseillée pour apprivoiser la multiplicité des détails). Le film** passe régulièrement du chromatisme brun de la campagne australienne à la grisaille des hivers new yorkais. La rare touche de couleur qui lie les deux univers est le rouge sanglant des bouches féminines (dont la voracité réveille les peurs enfantines de Max) ou la petite barrette dans les cheveux noirs de Mary auquel répondra bientôt un pompon que Max posera crânement sur son minuscule galurin.
Leur triste et navrante destinée (l’ami imaginaire de Max prendra la poudre d’escampette, Mary apprendra que la vie, c’est comme pour le lait concentré sucré, il suffit que l’on tombe sur un produit frelaté pour que la douceur se change en amertume) est doctement narrée avec tout l’understatement nécessaire par Barry Humphries, tandis que Toni Collette (qui partage avec Bethany Whitmore le rôle de Mary) et Philip Seymour Hoffman (qui remplirait le stade de France avec une lecture de l’annuaire) offrent leur part d’humanité aux petites figurines emportées dans le tourbillon de la vie.
Les deux personnages principaux ne sont pas épargnés par le réalisateur (à l’image de la photographe Diane Arbus qui n’aimait rien tant immortaliser des êtres hors normes) qui évite plaisamment, par la grâce de quelques gags remarquablement troussés, tout pathos ou apitoiement***.
C’est noir, c’est passionnant, c’est désespéré, c’est désopilant et certains en iront vraisemblablement de leur petite larme à l’épilogue.
Entre désespoir et hautes solitudes, entre crises existentielles et tentatives de suicide, entre drame de l’alcoolisme et victoires quotidiennes sur cette chienne de vie, Mary & Max par le truchement de deux petites marionnettes — et d’une Underwood — est un film à découvrir, à savourer, à revoir et à pétrir joyeusement en toute amitié, sans les enfants, entre adultes consentants.
* Ah les bons vieux souvenirs d’enfance que rappelle cette étrange mixture bien trop sucrée…
** Pour information, le film est composé de 132 480 images, chiffre qui donne aisément le tournis
*** Comme par exemple Max, évoquant la maladie qui l’afflige, joint le gag à la parole lapidaire. Prenez un siège lui ordonne une pancarte ; le plan suivant, nous le retrouvons dans le métro, voyageant en compagnie d’une chaise qu’il a subtilisée
Mary and Max d’Adam Elliot_2009
avec Toni Collette, Philip Seymour Hoffman, Eric Bana, Barry Humphries, Bethany Whitmore, Renée Geyer, John Flaus