
88. Michael Powell et son fils Columba
dans le home movie de Peeping Tom/Le voyeur_1960
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Lorsqu’à la fin des années 50, Michael Powell se jette corps et âme dans la réalisation du Voyeur, ode au cinéma et à la vampirisation des actrices (si on ne peut percer leur mystère, on le peut du moins de leur chair), il se doute que le thème fera sensation, sans toutefois avoir réellement mesuré l’étendue du scandale qui fera de Peeping Tom son chant du cygne.
Nonobstant, le point d’orgue du cauchemar éveillé que vit Mark, son tourmenté héros, est avant tout son obsession pour des home movies en noir et plan, témoignages révoltants d’un passé révolu, soit les mètres de pellicule tournés par son géniteur, expérimentant sur sa descendance de bien singulières recherches.
Le cinéma étant affaire de famille pour Michael Powell, le réalisateur n’a pas hésité, pour enfoncer le clou, à incarner lui-même — en usant d’ailleurs de sa propre maison comme décor — ce père fouettard qui sadise son rejeton, lequel, une fois adulte, ne pourra accepter d’affronter le monde qu’à travers le prisme de sa caméra. Et surtout, à inviter son fils ainé Columba, à partager l’écran avec lui, lui offrant le rôle de la victime originelle du film comme une des preuves irréfutables de son amour paternel… L’autre sera sans doute de n’avoir jamais encouragé ses fils à suivre ses traces.
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Qui allait jouer Mark à l’âge de huit ans ? Nul autre que Bumba Powell naturellement. Et son père ? Son père. Je pense que les réalisateurs ne devraient pas jouer dans leurs propres films mais c’était une affaire de famille. […]
Aujourd’hui que Peeping Tom a sa place parmi les grands films de l’histoire du cinéma (j’écris ceci 1989), j’aimerais explorer un moment ma contribution au syndrome de l’enfant martyr. Elle fut tout à fait consciente et sans pudeur, car un artiste doit être impudique. Quand je demandais à Frankie la permission de faire jouer Mark à huit ans par Columba, je savais exactement ce que je faisais, ou du moins pensais le savoir. Et Columba, quand il vit le film avec moi, gloussa. […]
Je répétais dans ce petit studio depuis une semaine et décidais d’y tourner toutes les scènes de Columba, pour qu’ils se sent plus à l’aise près de la maison. Je laissais l’équipe caméra mettre chaque plan au point et venais au studio quand ils étaient prêts. Bumba était ravissant dans sa veste grise, sa première, en chemise blanche avec une étroite cravate noire. Il en était très fier. La journée avait commencé par une expédition éclair à Harrods parce que Frankie ne s’était pas rendu compte que nous aurions besoin de la veste pour le premier plan à tourner. Ce plan était celui de Bumba disant adieu à sa mère morte. Il fut rapidement dans la boite. Bumba était solennel, comme requis, mais refusa d’être dirigé : « Papa, si tu me parles pendant la scène, je vais rire ».
La première prise était bonne ; un gros plan de Bumba suivait. « C’est un gros plan. Ne fait rien. Un gros plan, c’est fait pour ça, pour voir ce que tu ressens, pas pour ressentir ce que tu vois ».
Ensuite on retoucha le décor pour la scène de la nursery. Le lézard eut un grand succès pour sa personnalité, mais Bumba ne l’aimait pas trop : « parce qu’il a des griffes aux pattes ».
Dans la scène finale, il prit peur, au grand embarras de tout le monde, lui y compris. Je me sentais coupable, à juste titre. Inutile de dire que j’ai utilisé la scène dans le film. Si mon fils fait plus tard un complexe de lézard, ce sera ma faute.
Leo Marks avait écrit une scène où Bumba jetterait des fleurs sur la tombe de sa mère. Mais Frankie refusa tout net. Elle prit les fleurs et les mit dans l’eau. […]Columba, venant d’Angleterre, me rejoignit à Dartmouth pour une semaine et m’accompagna ensuite à Hollywood. Il avait été une énigme toute sa vie pour tous ceux qui prétendaient à quelque autorité sur lui, y compris son père, sa mère et son frère. On dit que son saint patron, Saint Columba, était soupe au lait lui aussi. Il construisit l’église et le monastère de Iona et convertit les Écossais, entreprise totalement réussie. Conlonsay, l’île de Columba, est le Kiloran de Je sais ou je vais, et mon Columba est le jeune Mark de Peeping Tom. Je l’aime tendrement.
Une vie dans le cinéma, tome 2 : Million dollar movie de Michael Powell
© Institut Lumière/Actes Sud
A voir : The eye of the beholder, documentaire d’Olivier Serrano
A suivre…
Aaaaaah, ce cher Michael Powell, Génie parmi les génies.
Si tu avais lu les c*** qui ont été écrites sur son film à l’époque
Le fait est qu’il les a répertoriés dans ses Mémoires avec un plaisir presque gourmand
Tiens d’ailleurs, t’as lu les 2 tomes d' »Une Vie dans le Cinéma » ? Je suis en train de chercher tous les ouvrages possibles sur le bonhomme, j’ai que des éditions en angliche pour l’instant.
Le tome 2 d’où sont tirés les extraits est disponible à la DVDthèque Truffaut. C’est là que j’ai réussi à l’emprunter. Il me semble mais je peux me tromper qu’ils n’ont que la version anglaise du tome 1
Hmm intéressant. Merci 🙂
Comme tout ce que j’écris monsieur ! ^^
(de nada)
Merci pour l’extrait de ce bouquin, que j’avais essayé de trouver à prix correct un moment… J’ai eu une belle période Michael Powell lorsque ses films sont sortis chez Institut Lumière. Je n’étais pas au courant de l’anecdote racontée (et c’est que quand même, Columba ça passe moyen ; je ne savais même pas que c’était un vrai prénom !).
Certains devraient songer à rééditer les livres cinéma de chez Actes Sud ! Il y a quelques pages amusantes où Powell raconte comment ses amis réagissent au prénom qu’il a choisi pour son fils. En tout cas, il est dans le calendrier des Saints ( http://www.abbayes.fr/histoire/saints/a_g/columba.htm ) !
Pour ne point dire des temps anciens…
Bonne journée et bon week end